Chronique : Décrochage scolaire

Un p’tit mille pour ton diplôme ?

L’homme d’affaires Mitch Garber, surtout connu au Québec pour sa participation à Dans l’œil du dragon, a lancé l’idée de verser 1000 $ aux élèves qui obtiennent leur diplôme du secondaire pour lutter contre le décrochage scolaire.

L’idée a été assez mal reçue. En partie parce que le petit monde de l’éducation n’aime pas qu’on se mêle de ses affaires, encore moins quand il s’agit d’un homme d’affaires ! Aussi parce qu’un chèque aux élèves est perçu comme un symbole de la marchandisation de l’éducation, car on se sert de l’appât du gain pour encourager la persévérance scolaire plutôt que de faire appel à des principes plus nobles, comme les vertus du savoir et de la connaissance.

Je ne crois pas que l’idée de Mitch Garber soit une bonne idée, mais pas pour les mêmes raisons. D’abord, le monde des affaires, depuis des années, a joué un rôle très positif dans les débats sur l’éducation, dans la défense des universités ou dans la lutte contre le décrochage. Si l’intervention de M. Garber contribue à réduire l’indifférence encore bien présente des Québécois à l’égard du décrochage, ce ne peut être que positif.

Ensuite, il y a un lien très réel entre l’éducation et l’argent. Si l’éducation est si importante pour une société, ce n’est évidemment pas seulement pour des raisons financières. Mais les considérations économiques jouent. Un des arguments les plus puissants pour faire la promotion des études, c’est la perspective d’un meilleur emploi, d’un meilleur salaire, la protection contre le fléau du chômage.

Un des grands slogans de la Révolution tranquille était quand même « S’instruire, c’est s’enrichir ».

L’idée de recourir à des incitatifs financiers pour modifier les comportements, même dans le domaine de l’éducation, n’a donc rien de scandaleux. À condition que ça marche. Ma collègue Silvia Galipeau a montré, dans La Presse+ d’hier, que l’approche des incitatifs a été testée, sans succès, aux États-Unis.

On peut comprendre pourquoi en regardant de plus près la dynamique du décrochage au Québec. On voit alors que cette approche rencontrerait trois problèmes.

Le premier, c’est qu’avec cette mesure, « mur-à-mur » et non ciblée, le gros de l’argent n’ira pas au bon endroit. Regardons les chiffres. J’arrondis beaucoup. En gros, il y a 400 000 élèves au secondaire ; 320 000 au public, à qui M. Garber destinait sa mesure. Ça donne environ 64 000 élèves par niveau ; 78,8 % d’entre eux finissent par avoir un diplôme, soit 50 430. On serait très heureux d’avoir des mesures qui feraient passer ce taux de diplomation à 85 %, ce qui nous donnerait 54 400 diplômés, soit, 4000 de plus.

Dans un tel scénario, la mesure, à 1000 $ par diplôme, coûterait 54,4 millions. Le problème, c’est que le gros de l’argent irait aux 50 430 élèves qui auraient décroché leur diplôme de toute façon et qui n’avaient pas besoin de ce coup de pouce.

C’est de l’argent mal dépensé parce qu’il ne va pas à ceux qui en ont vraiment besoin.

Le deuxième problème, c’est qu’il n’est pas évident qu’un bonus de 1000 $ réussira à modifier les comportements des décrocheurs.

Ça peut fonctionner pour donner une petite poussée à des élèves qui risquent de flancher en fin de parcours, en leur fournissant la motivation pour faire un dernier petit effort pour passer leurs examens.

Mais le gros des décrocheurs n’est pas dans cette catégorie. Les effectifs scolaires chutent de façon sensible à la fin du secondaire. En 2013-2014, pour l’ensemble des secteurs publics et privés, on comptait 86 328 élèves en 3e secondaire, 76 323 en 4e secondaire et 73 316 en 5e secondaire. Treize mille jeunes, 15 % du total, ont carrément quitté l’école. Le gros de la clientèle visée est là. Le défi est énorme, car il ne s’agit pas de les convaincre d’étudier, mais de les ramener à l’école.

Or, pour plusieurs d’entre eux, ce qui les a fait décrocher, c’est la perspective de travailler et d’avoir de l’argent rapidement, d’autant plus que le taux de chômage est bas. D’ailleurs, pour cette raison, le décrochage est souvent élevé dans des régions prospères. Pour un jeune qui n’aime pas les études, et qui peut facilement gagner 1000 $ par mois, est-ce que 1000 $ vont suffire à le convaincre de passer deux longues années à l’école ? Pas évident.

Le troisième problème, c’est que les 1000 $ arriveront beaucoup trop tard. Derrière le décrochage, il y a des causes plus profondes. Un grand nombre de jeunes décrochent parce qu’ils ne sont pas capables de passer leur secondaire – problèmes d’apprentissage, échecs répétés, milieu familial qui ne valorise pas l’éducation. Dans ces cas, la lutte contre le décrochage doit se faire en amont, à partir de la garderie, avec de l’accompagnement des enfants à risque dès leur plus jeune âge, des interventions en milieu familial, des programmes pour rendre l’école attrayante.

Tout ça pour dire que le problème du décrochage est complexe. Et que pour régler des problèmes complexes, les solutions simples ne sont en général pas les meilleures.

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